Article publié le 11/08/2018 dans Marianne
Par Soazig Quéméner
A la mi-septembre, les radicaux de gauche et de droite, réunis après 45 ans de séparation, se réinstallent dans leurs locaux historiques, dans le Ier arrondissement de Paris. Sous le nom de Mouvement radical, social et libéral, ces autres apôtres du dépassement du clivage droite-gauche vont devoir prouver leur utilité.
On les pensait guidés par l’attrait de la mémoire. Qu’il leur plaisait, à eux, les radicaux, le plus vieux parti de France, d’être à nouveau réunis dans leur bâtiment historique de la place de Valois, à compter de la mi-septembre. Une manière d’insister sur l’imperméabilité des héritiers de Clemenceau aux soubresauts de l’époque, eux qui choisissent de se rassembler quand tant d’autres formations politiques se désagrègent. En réalité, il est peu question de sentimentalisme patrimonial dans cette réinstallation.
Après quarante-cinq ans de séparation, les anciens radicaux de gauche et ceux de droite, dits valoisiens car ils avaient conservé le siège du Ier arrondissement, se retrouvent ici, sur cette majestueuse place parisienne, ancienne dépendance du Palais-Royal, pour une raison bien plus prosaïque : les radicaux de gauche, qui avaient fait sécession en 1972 en signant le programme commun avec le PS et le PC, étaient locataires rue Duroc, les autres étaient demeurés propriétaires. Les voilà donc tous prêts à revenir au bercail, sur cette place dont aucune formation ne portera plus le nom. Officiellement, ils sont devenus en décembre dernier le Mouvement radical, social et libéral. Un rapprochement enclenché depuis de longues années. « Les radicaux ont parlé de réunification depuis la chute du mur de Berlin, rappelle Laurent Hénart, ex-patron des valoisiens. La séparation était liée au programme commun. Mais, à partir du moment où il n’y avait plus d ‘URSS et plus de pacte de Varsovie, les lignes de partage politiques sont devenues la question européenne ou le réalisme en matière économique. Les radicaux se sont retrouvés à défendre des options ensemble. »
Dès 1988, André Rossinot (valoisien) et François Doubin (MRG) organisent une conférence de presse commune pour annoncer des états généraux du radicalisme. Jean-Louis Borloo et Jean-Michel Baylet reprennent le cours de cette discussion en 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy. Mais il faudra attendre encore dix ans et l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée pour que le rapprochement se concrétise. « Il nous a paru évident que les Français souhaitaient que l’on tourne la page d’un schéma qui a tenu cinquante ans », poursuit Hénart. Il est également bien plus facile de se réunir quand aucun des deux alliés traditionnels, la droite républicaine pour les valoi-siens, le PS pour le PRG, n’est plus au pouvoir… Même si deux radicaux issus de la gauche siègent encore au Conseil des ministres : Jacques Mézard, à la Cohésion des territoires, et Annick Girardin, à l’Outre-mer.
Bureaux majestueux
Les retrouvailles ont donc pour théâtre les locaux désuets perchés au premier et au deuxième étage du bâtiment. En haut d’un étroit escalier aux marches glissantes et à la rampe marquetée, un grand comptoir donne à l’accueil des radicaux des allures de réception d’hôtel de charme. Sur le mur, une galerie de photos rappelle les riches heures du radicalisme, parti d’Emile Combes, héraut de la lutte anticléricale au début du XXe siècle. Mais aussi de Félix Gaillard, d’Edgar Faure ou de Pierre Mendès France.
L’accueil distribue des corridors encombrés qui ouvrent sur des bureaux majestueux avec parquet-moulures-cheminée, « PMC », comme on le lit dans les annonces immobilières. Là, dans celui du président à présent encombré de chaises, Laurent Hénart, ex-chef des valoisiens et ministre sous Chirac, va faire de la place à Sylvia Pinel. Au gouvernement sous François Hollande, ex-candidate à la primaire dont Benoît Hamon est sorti victorieux, elle dirigeait jusque-là les radicaux de gauche. Ensemble, ils coprésideront le Mouvement radical jusqu’en 2019. Au deuxième, dans des pièces moquettées de neuf, on a déjà attribué sa place au collaborateur de Sylvia Pinel. Un grand bureau. Les mètres carrés n’ont pas été calculés. « Nous ne sommes pas chez les Républicains, ici », s’amuse Rémi Guastalli, l’un des deux patrons de la communication, en référence à la bataille épique entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Laurent Wauquiez pour la taille de leurs espaces de travail respectifs quand ils cohabitaient sous la présidence Sarkozy. A l’accueil, une porte blindée donne sur l’annexe, l’entresol du 1 bis, place de Valois. Patron du parti de 2004 à 2014, Jean-Louis Borloo y avait installé son repaire à son départ du gouvernement Fillon en 2010. Aujourd’hui, le local est loué à une start-up.
“LES RADICAUX ONT PARLÉ DE RÉUNIFICATION DEPUIS LA CHUTE DU MUR DE BERLIN.” LAURENT HÉNART, ANCIEN PRÉSIDENT DES RADICAUX VALOISIENS
Juste à côté, sous un haut plafond, se tiennent, depuis le début du XXe siècle, les réunions du comité exécutif des radicaux, ce qu’atteste une plaque commémorative que l’on aperçoit sur la façade depuis un bureau d’angle. « Au début, ils se retrouvaient plutôt au rez-de-chaussée, à la brasserie », ricane un militant.
Reste à prouver l’utilité du tout nouveau Mouvement radical et de ses 10 000 à 15 000 adhérents dans l’espace proeuropéen et libéral délimité par La République en marche. Le parti a pour le moment échoué, contrairement aux espoirs formulés initialement, à bâtir un groupe à l’Assemblée. « La particularité de Macron est qu’il enrôle des politiques LR et PS dans le mécanisme du quinquennat. Il a une majorité mais pas de contre-pouvoir parlementaire », rétorque Hénart, pour qui le véritable contre-pouvoir serait formé par les « élus locaux ». Cela tombe bien, les radicaux en comptent en nombre parmi leurs membres dans la zone d’attraction du Sud-Ouest pour les ex-PRG (Sylvia Pinel est députée de la 2e circonscription du Tarn-et-Garonne), autour de la Meurthe-et-Moselle pour les ex-valoisiens (Laurent Hénart est maire de Nancy). Ce qui vaut cette blague récurrente dans le parti : « Vous êtes cassoulet ou choucroute ? » Le Mouvement radical revendique en tout un gros millier d’élus locaux, une centaine de maires, dont ceux de Niort et de Montélimar. Des élus aujourd’hui décrits comme la « voix du radicalisme », même si cette voix semble aphone depuis la réunification. Et pas certain que les élections européennes lui permettent de faire entendre sa différence.
Patron des valoisiens de 1979 à 1983, Didier Bariani s’inquiète déjà : « Les radicaux ont aujourd’ hui un déficit d’expression qui risque d ‘ être mortel. Il faut qu’on donne le déclic, qu’on apporte quelque chose au débat. » Avant d’adresser cette fraternelle mise en garde aux nouveaux patrons des radicaux : « Si nous fusionnons, ce n’est pas pour avoir des funérailles nationales. »